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Retraites 2010 fiche n°1:Une brèche dans notre système de retraite solidaire :
Article publié le 9 mai 2010

Le capitalisme n’aime pas la retraite par répartition ni les masses financières qui circulent en dehors du marché
sans lui permettre de réaliser des profits. Un système par capitalisation ne serait pas crédible en ces temps
de crise, mais une brèche dans les solidarités reste possible, en instaurant un système par comptes notionnels
ou par points, avec l’appui d’organisations syndicales. Le COR (Conseil d’Orientation des Retraites composé
de l’État, des partenaires sociaux et d’experts) ne conseille pas ce changement dans l’immédiat, car il demande
du temps pour se mettre en place et ne permet pas de faire face à l’afflux des retraités du baby boom.

Mais l’offensive reviendra en force, ce qui nous incite à le dénoncer dès maintenant, dans cette période de
débats.

Système par capitalisation ?

Le capitalisme cherche à faire du profit sur tout,
transforme tout en marchandise. Bien sûr, il
n’apprécie pas que 230 milliards d’euros circulent
chaque année dans les caisses de retraite, en dehors
de ses circuits financiers. Il espérait, ces dernières
années, faire de la place à la capitalisation volontaire
en baissant les pensions et en faisant peur sur
un avenir qui ne pourrait être assuré que par la
capitalisation. Il a échoué pour 2 raisons :
l’austérité a baissé le pouvoir d’achat et n’a pas
permis au plus grand nombre de capitaliser ; la
crise a mis fin au mirage d’une capitalisation pour
obtenir une retraite abondante.

La capitalisation ne peut pas être à l’ordre du jour
rapidement, mais l’objectif reste bien présent et un
éventuel changement de système de retraites représente
un pas vers cette perspective en ôtant l’aspect
collectif du système actuel et en remettant en cause
ses solidarités.

Le système actuel repose sur de nombreuses solidarités
Les solidarités sont possibles en France car la
partie du salaire qui est « socialisée » sert à tout le
monde. La solidarité apparaît clairement pour la
santé, qui assure des soins même très chers à tout
assuré, quels que soient les montants de ses cotisations
maladie. Elle existe aussi dans notre système
de retraite : environ 20 % (estimation du COR) des
cotisations retraites servent à accorder des droits à
des individus n’ayant pas cotisé dans la même
proportion. Ces solidarités, qui permettent une
redistribution des revenus, sont de 3 ordres :

- intergénérationnelles : avec un « salaire socialisé
 » comprenant un net pour le salarié et des cotisations
finançant la protection sociale (maladie,
retraite…), on cotise en activité pour payer notamment
les pensions des retraité-es, et le fait de
cotiser ouvre droit à la solidarité de la génération
suivante. On ne cotise pas pour soi-même, chaque
génération « monte sur les épaules » de la
précédente. Sur le fond, cela répond à une réalité
 : le retraité consomme les richesses créées pendant
sa retraite.

- entre les salarié-e-s : des personnes momentanément
hors travail (maternité, service militaire,
maladie, invalidité, chômage indemnisé…) continuent
de bénéficier de la pension dont elles auraient
eu droit sans ces interruptions. D’autres
voient certaines périodes validées par le fait
d’avoir élevé un enfant ou d’avoir subi un métier
pénible. Et certaines (parfois certains) touchent
une pension de réversion alors qu’elles n’ont rien
versé à ce titre.

- entre les professions pour corriger les démographies
différentes (des anciens métiers n’ont quasiment
plus d’actifs tandis que d’autres très récents
ont encore peu de retraités) : la « compensation
généralisée » permet depuis 1974 de transférer
des fonds entre les caisses, selon les excédents
ou les déficits calculés à partir de cotisations fictives
(mêmes conditions pour tous) payant des
pensions fictives (obtenues dans les mêmes conditions)
 ; la « surcompensation » équilibre depuis
1986 les comptes entre régimes spéciaux.

Le gouvernement a envisagé une réforme systémique qui toucherait tous les régimes et changerait
la nature de la répartition. Un tel système ne garantirait plus un niveau de pension, baisserait encore
le niveau des pensions et supprimerait tout aspect collectif de l’accès à la retraite et tout enjeu politique
dont le partage des richesses. Il ferait donc disparaître les solidarités.

Aucune garantie de niveau de pension et arrêt du progrès social

Nous passerions :

- d’un régime à prestations définies. Avant 1993,
le fait de partir à 60 ans avec 37,5 années de cotisation
donnait l’assurance de toucher du régime
général 50% du salaire moyen touché pendant les
10 meilleures années (la complémentaire devant
compléter pour arriver à 75%). Les contreréformes
ont dégradé le montant de la pension
mais n’ont pas mis à mal le principe : chaque
retraité bénéficie d’un taux de remplacement
(pourcentage de la pension par rapport au salaire)
connu par avance. La pension est garantie, c’est
le niveau de cotisation qui est utilisé comme variable
principale d’équilibre des comptes (en théorie
car ce taux a peu bougé en 20 ans afin de créer
un déséquilibre financier),

- à un régime à cotisations définies, bloquées au
départ, sans aucune garantie sur la pension versée
car son montant est déterminé de façon à équilibrer
les comptes. Dans ce cas, la caisse de retraite
concernée s’engage uniquement à récupérer les
cotisations et à assurer l’équilibre financier du
régime. Outre la disparition de tout engagement
sur un niveau de pension, un régime à cotisations
définies fige les cotisations et le partage des richesses,
c’est-à-dire stoppent tout progrès social.
Baisse des pensions et individualisation du rapport à la retraite

Ce serait chacun pour soi en espérant récupérer
pendant la retraite tout ce que l’on a engrangé
pendant la vie active.

Le changement de système peut prendre 2 formes :

- comptes notionnels : pour chaque individu, les
cotisations versées alimentent un compte
« notionnel », c’est-à-dire virtuel. Chaque année,
ce compte est réévalué en fonction d’une indexation
sur l’inflation, ou l’évolution des salaires, ou
le PIB… Au moment de l’âge de départ, ce capital
virtuel est divisé par le nombre d’années restant
à vivre (selon les prévisions d’espérance de
vie) et détermine le montant de la pension annuelle.

En fait, un coefficient s’applique, mais la
retraite reste proportionnelle aux sommes versées.

Cela ressemble à de la capitalisation, avec une
logique de rente.

- système par points : la même logique s’applique
pour rendre lors du départ en retraite, en proportion
de ce qui a été donné lors de la vie active,
mais cette fois-ci de façon plus abstraite par
l’intermédiaire de points : les cotisations versées
permettent d’acheter des points, selon un prix
d’achat du point, qui varie chaque année. Ces
points sont accumulés tout au long de la vie active.

Le nombre de points et la valeur du prix de
vente du point déterminent la pension au moment
de la retraite. La pension reste proportionnelle au
montant des cotisations. La régulation financière
du régime de retraite s’effectue par la fixation des
prix d’achat et de vente du point. Ce régime par
points s’applique actuellement aux régimes complémentaires
du régime général : l’ARRCO pour
les employés et l’AGIRC pour les cadres peuvent
représenter au plus 25 % de l’ancien salaire et
complètent le régime général qui lui ne peut représenter,
au maximum, que 50 % de l’ancien
salaire. Les salariés n’ont aucune visibilité sur ce
que sera le montant de leur retraite, car s’ils peuvent
connaître le nombre de leurs points, mais ils
n’ont aucune assurance quant à la valeur du point
au moment de leur retraite. Pour les fonctions
publiques, il existe depuis 2005 le régime additionnel
fonction publique (RAFP) qui est un régime
complémentaire fonds de pension à points,
assis sur un niveau de primes.

Dans ces 2 cas, la pension est calculée sur
l’ensemble de la carrière, et non seulement sur les
25 meilleures années où les 6 derniers mois, ce qui
fait entrer dans le calcul les plus mauvaises années
et entraîne donc une baisse de la pension.

De plus, le salaire d’il y a 30 ou 40 ans ne vaut plus
grand chose : certes, il est revalorisé mais seulement
sur l’indice des prix et non plus sur les salaires,
depuis la contre-réforme de 1993.

Le salarié doit décider de l’âge de son départ à la
retraite, dès qu’il a franchi l’âge plancher, l’âge
légal de départ (de 60 ans pour la plupart) en fonction
de la pension dont il peut connaître le montant
chaque année… Il est toujours incité à prolonger
une activité qui alimente son compte virtuel ou ses
points, qui détermineront une pension proportionnelle.

Ces systèmes créent l’illusion que la cotisation
retraite est une forme d’épargne retrouvée lors
de la prise de leur retraite.

Disparition des enjeux politiques et frein à la mobilisation
Disparaissent tous les enjeux de la durée de cotisation
pour obtenir une retraite entière (50 et 75%),
les bornes d’âge pour avoir le droit de demander la
retraite (55 ou 60 ans), pour partir sans décote (65
ans en général, 60 ans ou moins pour certaines
professions).

Ces systèmes instaurent une individualisation de
la retraite de chacun, où la pension n’est plus le
prolongement (à 50 et 75%) de l’ancien salaire,
mais devient le résultat de l’épargne individuelle
pendant toute la vie active.

Ils rendent difficile une mobilisation collective sur
des mots d’ordre clairs.

Le salaire « socialisé » laisse place au salaire
« différé » dans une logique de capitalisation où
chaque personne se voit dotée d’un compte personnel
qui lui ouvre droit à une pension proportionnelle
à ses cotisations.

Le financement des retraites s’effectue sur une
base figée du partage des richesses. L’équilibre
des comptes se réalise mathématiquement avec la
seule baisse des pensions, sans même envisager une
augmentation des cotisations sociales. Le débat
politique sur le partage des richesses, sur la part des
richesses produites consacrée à la masse salariale,
n’a plus lieu d’être.

Les solidarités disparaissent du système de retraite

Une solidarité disparaît, celle qui consiste à
écarter les salaires les plus faibles dans le calcul
de la pension, puisque tous les salaires entrent
dans le calcul de la pension. Les défenseurs de ces
systèmes y voient une notion de justice, et mettent
en avant le fait que chacun reçoit ce qu’il a épargné.
C’est oublier que le calcul de la pension sur
l’ensemble de la carrière ne change pas grand chose
pour celui qui a eu la chance d’avoir une carrière
stable, mais baisse fortement la pension de celui
qui a subi des années moins bonnes ou imparfaitement
prises en compte : cela prolonge pendant la
retraite les inégalités de la vie active. C’est oublier
aussi que cette « justice » s’effectue en tirant tout le
monde vers le bas, en imposant les mauvaises
années à tout le monde.

Le maintien de toute une série de solidarités
incombe à la politique, notamment fiscale et sa
redistribution : majoration de la durée d’assurance
ou de service pour enfants et pour périodes assimilées
(maladie, chômage…), maternité, maladie
voire invalidité, chômage… et le minimum de
pension.

Ainsi, l’Allemagne attribue des points au titre des
périodes de chômage indemnisé à hauteur de 80 %
du dernier salaire et le fait financer par une cotisation
de l’agence du travail. La Suède prend en
compte les périodes d’inactivité (chômage, maladie,
service militaire, périodes d’études et éducation
des enfants) par l’octroi de capital virtuel dont
le coût est pris en charge intégralement par l’État
(par exemple pour la maladie) ou partiellement en
prévoyant le concours de l’assuré (par exemple
pour certains droits familiaux).

Dans la logique du système, qui est de recevoir en
retraite ce que l’on a versé en activité, la réversion
devrait n’être attribuée que si le salarié le décide, en
réduisant sa pension car il ne peut pas dépenser
plus que son capital acquis. Le scandale serait trop
grand, le système se pose une rustine afin de corriger
ce défaut trop flagrant : ainsi en Italie, une
probabilité de réversion est intégrée dans le calcul
de la pension : le/la retraité-e touche un peu moins
que prévu, mais sa veuve (ou son veuf) touchera la
réversion. Cette formule permet d’assurer, pour
chaque génération, l’égalité entre le cumul actualisé
des cotisations qui ont été versées durant la
période d’activité (le capital virtuel) et le cumul
actualisé des pensions qui seront reçues pendant la
période de retraite, d’abord au titre des droits
propres, ensuite, éventuellement, au titre de la
réversion.

Le changement de système ne semble pas pour tout de suite
La COR signale qu’un changement de système
s’avère complexe et demande une longue préparation
incompatible avec la nécessité d’agir
rapidement. Pour le COR, changer de système
impose de modifier par exemple tous les systèmes
informatiques, d’assurer des formations
importantes aux personnels… et ce dans tous les
cas :

- un basculement total imposerait un pic de
travail pour transformer les acquis de chaque
personne en points ou capital virtuel ;

- une transition étalée, ou une gestion des deux
systèmes à la fois (chaque personne est considérée
comme un « poly pensionné » avec deux
retraites correspondant aux deux systèmes,
l’ancien et le nouveau) demanderait du travail
supplémentaire sur plusieurs dizaines
d’années, dans une période de volonté politique
de baisser les effectifs.

De plus le COR signale le risque important de
multiplication de recours juridiques, surtout dans
un contexte où les pensions ne peuvent que
baisser.

Et surtout, le COR insiste fortement sur la
persistance d’un déséquilibre financier car, dans
tous les systèmes par répartition, ce sont les
cotisations des actifs qui paient toutes les pensions
de la même période. Les comptes notionnels
et le système par points ne prévoient pas de
provisionner pour les périodes difficiles, et ne
permettent pas la prise en charge du baby boom.
Le COR reconnaît que « l’application de ces mécanismes
pose question lorsque la situation économique se
dégrade car ils ont une action pro cyclique, en réduisant
davantage les droits à la retraite ».

La crise a mis à mal ces systèmes : pour conserver
l’équilibre des comptes, des pays les ayant mis en
place ont instauré une cotisation additionnelle non
génératrice de droits pour éviter d’augmenter davantage
les dépenses futures, ont moins revalorisé les
pensions en cours et les droits à pension en cours
d’acquisition (via une moindre revalorisation du
capital virtuel ou une augmentation plus importante
de la valeur d’achat du point). Ils ont réduit les coefficients
de conversion du capital virtuel en pension
ou baissé la valeur de service du point, ils ont relevé
l’âge moyen effectif de départ à la retraite, ou bien
fait appel à un financement externe… Ainsi, Pologne
et République du Kirghizstan ne revalorisent le
capital virtuel que sur la base de l’évolution de 75 %
de l’indice retenu. Seule la Suède, qui avait mis ce
système en place avant les autres et pris soin de
provisionner, s’en sort relativement sans trop de
heurts, avec « seulement » une diminution de la
revalorisation des pensions et des droits en cours
d’acquisition.

Le gouvernement ne devrait donc pas changer de
système tout de suite, mais l’idée est lancée et reviendra
ne serait-ce que pour masquer les enjeux
politiques en individualisant la retraite, pour ne pas
garantir un taux de remplacement, pour remettre en
cause les solidarités et ouvrir une brèche dans le
système par répartition. Un jour, la crise sera oubliée
et la propagande pour un changement de système
reviendra en force, avant le déclenchement de la crise
suivante. Le déséquilibre démographique ne bloquera
pas longtemps : les effectifs des retraités diminueront
après 2035.

Emparons-nous tout de même tout de suite du dossier,
pour faire réfléchir les populations et les organisations
syndicales qui revendiquent ce système.

Un système par points ou comptes notionnels provoquerait :

- La suppression de la garantie de niveau de pension et l’arrêt du progrès social

- L’illusion de la constitution d’une rente que l’on devrait retrouver plus tard

- La baisse des pensions et l’individualisation du rapport à la retraite

- La disparition des enjeux politiques et un frein à la mobilisation

- La fin ou la forte diminution des solidarités…
Ce changement de système ne semble pas pour tout de suite, mais menons le débat
dès maintenant pour qu’il ne s’applique jamais.

Fiche n°1 points et comptes notionnels