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Le livret de compétences : un "dispositif pédagogique" à rejeter
Article publié le 28 février 2011

Le livret de compétences :
un contre-modèle éducatif

Dans un contexte particulièrement chargé, le projet du
livret de compétences associé au socle commun est une
attaque supplémentaire contre le service public d’éducation.

Derrière la récupération d’un vocable, d’un
répertoire d’idées issues de la pensée pédagogique mais vidées de leur sens et détournées de leur objectif, se
constitue un véritable système institutionnel de
contrôle social, poursuivant la destructuration du système
éducatif. L’idée de compétences n’est pas en
cause - le travail en compétence est quotidien pour les
enseignants - ni même le fait de les valider ; ce qui est en
cause, c’est la dévalorisation de la dimension humaine,
subtile et complexe, de l’acte d’enseigner, au profit de
sa décomposition en unités techniques mesurables,
quantifiables.

Nous devons dénoncer une conception cumulative et
linéaire du savoir, son caractère subjectif et arbitraire
inacceptable (oui/non, validé/pas validé). Tout un
chacun n’a-t-il pas acquis des savoirs durant sa scolarité
puis les a oubliés ? Simpliste, confus, grotesque,
fourre-tout, arbitraire dans ses formulations, le livret
de compétences est une régression pédagogique.

Le système n’est en rien novateur, il a déjà été mis en
oeuvre dans certains pays européens et nord-américains
où ses résultats ont été jugés plus que décevants.

De toute évidence, il favorise encore plus la reproduction
sociale, les élèves disposant d’un meilleur capital
culturel comprenant et s’adaptant bien mieux aux attendus
des nouveaux types d’évaluation. Testés dans quelques
établissements en France, les résultats de cette
expérimentation n’ont pas été diffusés, ni analysés

.Pour les élèves : éducation au rabais,
"employabilité", traçabilité et contrôle social

Alors que le lénifiant discours institutionnel avance des
garanties éthiques, une lecture sommaire des modèles de
livrets proposés par le ministère permet rapidement de
prendre la mesure de la supercherie d’un système qui
prétend rendre les élèves partie prenante de son processus.
Des modèles imposés par le haut, sans réelle souplesse,
des savoirs et des connaissances arrêtés en un
temps "t" servant de références absolues au parcours scolaire
de l’élève qui est dépossédé de ses progrès au profit
de résultats figés remettant son parcours sous la coupe
ultime de l’administration. Il s’agit de la remise en
cause de l’apprentissage lent, patient et sinueux des
savoirs au profit du bachotage des compétences ; il y a
une vraie déperdition de la qualité de l’enseignement,
un réel appauvrissement du savoir et de la relation entre
l’enseignant et l’élève.

À terme, les structures du système éducatif actuel sont appelées à être bouleversées si l’on en croit les textes et
la tonalité apologétique de ceux qui s’en font les
hérauts. La suppression des examens actuels du brevet,
puis du baccalauréat, au profit du seul livret est en
ligne de mire de la réforme. L’éducation devient dès
lors la prestation d’un service aux objectifs mesurables,
mue par une recherche d’efficience et de rentabilité.

Plus grave encore, une traçabilité, un fichage des élèves
par des "C.V." définitifs et validés par l’Institution sont
organisés, de la maternelle à l’université. La continuité
entre les niveaux qu’autorise l’informatique construit
un ensemble cohérent qui n’est ni anodin ni fantasmatique.

L’évaluation par compétence correspond à un
enjeu majeur défini par l’OCDE dans les années 90 et
par l’Union Européenne dans les années 2000, depuis
que l’idée de "compétitivité" est le maître mot des
politiques des Etats membres. Le capitalisme, dans sa
phase actuelle, a besoin d’une main d’oeuvre tertiaire
de "basse qualité" aux compétences larges mais minimales
 : il s’agit d’achever l’individualisation accrue de
la main d’oeuvre, à charge pour chacun de définir et de
justifier son "employabilité" sur le marché du travail en
fonction de compétences admises par tous. Mise en
concurrence facilitée, rationalisation à l’extrême du
marché du travail, suppression des droits collectifs au
profit de "carrières" individuelles, autant d’idées fortes de
l’idéologie néo-libérale qui sont les horizons, explicitement
définis dans les textes officiels, de ce mécanisme.

Le livret de compétence est l’avatar français d’un principe
pensé à plus vaste échelle, dans lequel l’ajout de la
dimension culturelle, civique et humaniste a vocation
à rendre le plat moins indigeste.

De façon complémentaire, le livret développe les
notions de "compétences sociales et civiques" et
"d’autonomie et d’initiative". Non contentes de porter
sur l’individu (et non sur son travail), elles valorisent sa
docilité, son sens de l’obéissance et de la déférence
sociale. S’élabore bien un outil de contrôle social. Ces
données mises bout à bout, l’évocation du livret
ouvrier du XIXe siècle n’est pas exagérée.

Pour les enseignants : dépossession
et "caporalisation"

Le livret de compétences est tout aussi lourd de conséquences
pour les enseignants tant dans leur pratique
professionnelle que dans la conception philosophique
de leur métier.

Leur temps de travail s’en trouvera largement accru,
notamment pour les professeurs principaux chargés de
synthétiser les données de chaque classe. Au-delà, rappelons
à quel point il sera difficile et arbitraire de répondre
de façon binaire à une proposition ou une formulation
complexe, d’autant plus que l’enjeu en sera important
(obtention d’un diplôme, accès aux études supérieures
etc.). Les enseignants ont d’autres prétentions
que d’être des enregistreurs de données ou des tâcherons
de l’évaluation et revendiquent une approche complexe,
subtile et humaine de leur travail.

Il faut pointer par ailleurs l’absurdité d’un système où des
résultats seront attendus en amont par secteur ou établissement.
Le chef d’établissement aura la possibilité
de modifier les résultats à sa guise. Non seulement les
enseignants verront leur travail appauvri mais ils seront
doublement dépossédés de leur aptitude à évaluer le
travail des élèves : d’une part parce qu’on leur impose
des grilles de notations rigides dans des cadres préétablis ;
d’autre part car on leur signifie que leur évaluation est
relative quand une autorité administrative - qui en profite
pour s’arroger des prérogatives pédagogiques -
peut, selon des impératifs chiffrés, modifier leur jugement.

Le livret de compétences permet un véritable "flicage"
des professeurs et de leur travail. Les programmes
du socle commun restreignent les marges de
manoeuvre. De plus, les résultats ayant vocation à être
publiés, les possibilités accrues de surveillance par l’administration,
les inspections ou les parents sont évidentes.

À qui l’enseignant devra-t-il rendre des comptes
 ? Pour quelles raisons ? N’est-ce pas un moyen de
contrôler une "juste progression" de l’enseignant au
cours de l’année ? N’y-a-t-il pas là la possibilité d’établir
des comparaisons et de susciter une logique de compétition
(et ce, à toutes les échelles : entre les établissements,
les enseignants, les classes, les élèves…), de contrôle ou
d’auto-contrôle permanent ?

L’enjeu pour les enseignants est fondamental en ce
qu’il touche les principes de leur métier : quelle philosophie
de l’enseignement et quelles finalités pour le
savoir voulons-nous ? Quel avenir souhaitons-nous pour
notre métier : préparer les validations d’items de compétences
ou développer des rapports au savoir autres que
quantitatifs, figés, utilitaristes, et discriminants ?

Faire échec à cette régression éducative

En bout d’analyse, le livret de compétence introduit une
grave remise en cause de l’égalité d’accès à la culture et
au savoir. Il accentuera les inégalités sociales et géographiques.
Des collèges se contenteront du "socle commun"
quand d’autres pousseront plus loin la logique
du savoir : chacun à sa place, chacun à son niveau de
savoir. Il accompagne la mise en concurrence, par la
fabrication de résultats quantifiés comparables, précisément
au moment où on s’attache à élaborer l’autonomie
des établissements scolaires et où on supprime
peu à peu la carte scolaire au nom d’une illusoire
"liberté de choix".

Le livret de compétences contribuant à figer les stratifications
sociales, il entre en contradiction totale avec
une conception émancipatrice et égalitaire de
l’éducation et du savoir. Il traduit la soumission des
systèmes éducatifs européens aux impératifs des seuls
enjeux économiques et financiers ; il est un outil
régressif de contrôle et d’encadrement social.

Les enseignants doivent rejeter en bloc l’évaluation par
compétence telle qu’elle est proposée, sans renoncer à
la réflexion individuelle et collective. Il est essentiel de
faire échec à une réforme que l’on présente dans l’urgence
pour mieux forcer la main aux collègues. Il est
nécessaire que les collègues mènent une réflexion collective
et débouchent sur une action envisageable selon
cette alternative : soit refuser en bloc de remplir les
livrets, soit, afin d’éviter des sanctions ou de pénaliser
les élèves pour l’obtention du brevet, "saboter" le principe
en validant pour tous les élèves tous les items.