L’école est un champ de bataille
Déclaration
exceptionnelle de la fédération SUD éducation au Conseil supérieur de
l’éducation du 3 juillet 2014
« L’école
ne doit pas être un champ de bataille ». Telle est la
raison invoquée par Benoît Hamon, Ministre de l’Éducation nationale,
pour justifier l’arrêt du dispositif des ABCD de l’égalité, saisi comme
objet de haine par des franges réactionnaires de la société.
— L’école est un champ de bataille.
Le même argument est utilisé pour ne plus même poser de questions sur
le dualisme scolaire et le financement public de l’école privée,
« pour ne pas relancer une guerre scolaire ». La guerre
scolaire a lieu. Tous les jours, l’école publique subit la concurrence
du privé, tous les jours des collègues se battent pour la défendre,
tous les jours l’école est dégradée par cette compétition absurde à
laquelle elle ne devrait pas être soumise.
Chaque jour, dans les écoles, les collèges et les lycées, des collègues
se battent pour continuer à enseigner les génocides face aux
négationnismes, l’évolution des espèces et la démarche
scientifique face aux obscurantismes, la construction sociale des
genres face aux réactionnaires, l’histoire coloniale face aux
nationalismes, les approches sociales face à l’économisme, la pensée
critique face à l’idéologie dominante, la coopération face à la
concurrence, la culture face au marché. L’école est un champ de
bataille.
Chaque jour des collègues luttent pour éviter ici qu’une classe ferme,
là qu’une option soit supprimée, ailleurs que des dédoublements soient
annulés. Chaque jour, des collègues se battent pour accompagner au
mieux tous les élèves dans des classes surchargées. Chaque jour, des
collègues se mobilisent pour que des élèves poursuivent leur scolarité
et trouvent une orientation qui leur convienne au mieux dans une
société marquée par 40 ans de chômage de masse. Chaque jour des
collègues, contre l’institution, essaient des pédagogies alternatives
pour permettre l’épanouissement et l’émancipation des élèves. Chaque
jour des collègues subissent la hiérarchie, résistent, craquent
parfois, face aux logiques managériales que les politiques libérales
imposent à l’école et à ses personnels, face à de petits chefs qui
jouissent de leur petit pouvoir pour humilier leurs subordonné-e-s.
Trop de nos collègues mettent fin à leurs jours à cause de ces
conditions de travail dégradées, tant d’autres en souffrent en silence.
Chaque jour, des collègues s’opposent à l’emprise toujours plus grande
que le patronat veut exercer sur l’école, ses méthodes, ses contenus,
et à l’envahissement de toute la vie sociale par les dynamiques
consuméristes. Chaque jour des collègues s’engagent dabs l’action pour
que tous les élèves, « même » Rroms ou sans papiers, puissent
terminer leur scolarité – alors que les forces de police aux ordres du
gouvernement les chassent, traquent, évacuent et expulsent. L’école est
un champ de bataille.
La suppression du dispositif des ABCD de l’égalité et de sa
dénomination est une faute politique – tout comme l’avait été, déjà,
hélas, la prise de distance ministérielle avec la notion de genre et
son abandon par l’institution. Ce geste, ne serait-ce que par sa portée
symbolique, délégitime le projet de l’égalité et les enseignant-e-s qui
en portent l’exigence. Il donne une fois de plus le signe que le
gouvernement cède à l’agitation des réactionnaires. Il encourage ainsi
leur mobilisation. Il est illusoire de penser que cette reculade
calmera les adversaires de l’égalité et de l’école publique. Ils ne
désarmeront pas. Ils sortent renforcés de chaque renoncement. Chaque
concession à la réaction est une défaite idéologique qui laisse de
profondes traces.
Avec cette nouvelle démission le ministère expose encore davantage à la
haine tous les garçons manqués et toutes les femmelettes, tous les
pédés et tous les enculés, toutes les gouines et toutes les salopes,
tou-te-s les travelos et tou-te-s les trans, tous les mecs qui aiment
des mecs, toutes les nanas qui aiment des nanas, tous les mecs et
toutes les nanas qui aiment des mecs et des nanas, toutes les
camionneuses et tous les danseurs, tous les garçons qui jouent à la
poupée et toutes les filles qui aiment les voitures, toutes celles et
tous ceux qui n’ont pas droit à l’existence dans ce système normé et
hiérarchisé de partition binaire du masculin et du féminin.
Il n’y a pas de pacification possible ; et elle n’est pas
souhaitable. L’école étant un espace de socialisation et de formation
des consciences, elle est nécessairement l’objet d’un conflit politique
permanent, entre celles et ceux qui défendent telle ou telle dimension
de l’ordre des choses tel qu’il est, et donc une école de la
reproduction des hiérarchies (sociales et/ou racistes et/ou
hétéro-sexistes et patriarcales), et celles et ceux qui se battent –
contre vents mauvais et marées noires – pour une autre école dans une
autre société : une école publique, pour tou-te-s, gratuite,
laïque, égalitaire et émancipatrice.
L’école est un champ de bataille.
Chaque jour, comme professionnel-le-s, comme syndicalistes, nous sommes
sur ce champ de bataille. En première ligne.
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- CSE 3 juillet